Archives par étiquette : Rodolphe Burger

Cinépoèmes « live » – Pierre Alferi et Rodolphe Burger  

© Maison de la Poésie

Concert littéraire, à la Maison de la Poésie, les 20 mars et 27 avril 2023.

Suspendus entre ciel et terre, de l’écran au plateau, les Cinépoèmes nous emmènent sur des pistes sonores et chemins de traverse jusqu’aux sentes singulières sur lesquelles Pierre Alferi – poète et vidéaste, fondateur avec Olivier Cadiot de la Revue de Littérature Générale – et Rodolphe Burger – compositeur, musicien et chanteur, représentatif du rock et du jazz – nous font percevoir leurs couleurs et émotions, leurs mots et compositions.

Tous deux se connaissent de longue date et se sont associés en écriture et en musique dès les débuts du groupe Kat Onoma fondé par Rodolphe Burger. Sous le nom de Thomas Lago, Pierre Alferi en fut le principal parolier dans les années 90. Il publia Le Cinéma des familles, un roman qui a ensuite nourri les films parlants pour lesquels il a demandé à Rodolphe de composer la musique, ainsi que pour ses poèmes sonores et ses premiers Cinépoèmes. Rodolphe en retour confie à Pierre la réalisation du film de montage Tante Elisabeth sur la chanson du même titre, un moment très tendre de la soirée. « Chacun porte sur l’écran une ombre démesurée où l’autre peut se fondre » disent-ils.

Les deux artistes se rencontrent sur scène, de loin en loin, croisent leurs univers et font le point de leurs trouvailles, en toure liberté et complicité. Et s’ils aiment à brouiller les pistes, on suit leurs empreintes entre une subtile bande-son et des extraits de vieux films remontés, leurs propres images et leur interprétation du monde, leur poésie, leur loufoquerie. À la vidéo, texte et voix, en français et en anglais, assis, Pierre Alferi ; au sampler, guitare, narration et chant, en improvisation et enregistrements Rodolphe Burger, maître des climats et de la rose des vents. Derrière eux, un grand écran où s’écrivent les Cinépoèmes, parfois à l’encre sympathique.

Au pays de Pierre Alferi et Rodolphe Burger il y a des rossignols, des crapauds et des lapins, des tortues, des hiboux et des renards. Il y a une Alice qui préfère les lapins aux crapauds et se fait pousser deux oreilles, une chouette et une toile de tarentule. Dans leur pays il y a des pépiements et des bruits d’eau, des superpositions sonores, des musiques et des voix en surimpression, de la discontinuité, des images… Une femme apparaît et disparaît, elle porte une robe à fleurs et joue au ping-pong, renvoyant les balles à un partenaire inconnu.

Dans ce voyage, nous est conté « le plus beau ciel des ciels, le plus beau nuage des nuages, la plus belle des pluies, le plus beau des soleils : et là, comme il n’y a plus rien… on rentre… » ; nous sont montrés quelques extraits de films d’horreur, des images juxtaposées, « un cri tranche la nuit, une bête insolite … » Seul, face à lui-même ou face à elle, Rodolphe, « le plus timoré des enamourés » parle de son succès ou de son insuccès, de son admiration : « Tu es si timide… J’aime ton retrait et ta moue d’ennui… et je t’imite… » Et tout à coup, en rêve, le loup envahit l’écran, des images se figent, des musiques super prod se répandent dans l’espace, une avalanche trouble l’horizon. Jeux de rythmes en images et en sons.

© ABN

Plus loin au fil de la soirée, le duo récitatif Pierre/Rodolphe se met en place, les vitesses s’accordent et se désaccordent, le décor s’écroule. « Rien de vécu ne reviendra… Rien de perdu… Souvenirs arrasés à force de caresses. » Défilent les petites choses de la vie et leurs imaginaires, les jeux de mots et glissandos, les interprétations et respirations. La guitare questionne : « Que sera notre vie quand une heure durera 8 minutes… quand la terre tournera sans qu’elle vous prenne sur son dos, que sera la vie ? » Hommage au batteur Elvin Jones. L’écran s’absente, le rythme se décale, les phrases arrivent comme mitraillettes. Tout s’accélère : « Tu te tues. Tu te reconstitues… »

Ce soir-là Pierre Alferi et Rodolphe Burger nous invitent à entrer dans leur danse à la Maison de la Poésie, dans le cadre des 40 ans de P.O.L. quarante ans de publications qui témoignent d’une volonté de créer le désordre là où l’ordre s’installe, selon les termes de son fondateur Paul Otchakovsky-Laurens. Les textes poétiques de Pierre Alferi – dont certains publiés chez P.O.L. comme Hors Sol en 2018 et Divers chaos – sont le prolongement de son parcours d’écrivain. Conçus pour l’écran, ils prennent toute leur dimension, enveloppés des musiques et rythmes dessinés et scandés par Rodolphe Burger. L’univers est onirique et plein d’étrangetés, rémanence de mots et de sons qui bourdonnent. De temps en temps, ensemble, ils désertent le plateau et nous laissent face à l’image, méditatifs, avant de reprendre le dialogue et ce va et vient en temps réel de l’écran à la scène, de la voix à la musique, de la poésie au chant.

A chaque rencontre, Pierre Alferi et Rodolphe Burger décalent et réinventent de nouvelles passerelles, d’autres langages, entre dire, jouer et projeter, et font évoluer le spectacle au gré des couleurs du moment et des représentations. C’est une invitation au voyage pleine de charme et de poésie.

Brigitte Rémer, le 22 mars 2023

Vidéo, texte et voix : Pierre Alferi – Sampler, guitare, chant : Rodolphe Burger – son : Léo Spiritof – montage et projections vidéo Cynthia Delbart – À lire et à écouter : Pierre Alferi, Cinépoèmes et films parlants, musiques de Rodolphe Burger, éd. Les laboratoires d’Aubervilliers, 2003.

Le 20 mars à la Maison de la Poésie, Passage Moliėre, 157, rue Saint-Martin – 75003 Paris, M° Rambuteau – RER Les Halles – tél : 01 44 54 53 00 (du mardi au samedi de 15h à 18h) – Cet évènement a également lieu le   27 avril 2023 à 20h 

Le jour se rêve

© Giovanni Cittadini Cesi

Chorégraphie Jean-Claude Gallotta, avec les danseurs du groupe Émile Dubois – musique Rodolphe Burger.

C’est une pièce pour dix danseurs qui rend hommage à Merce Cunningham, l’un des maîtres avec qui Jean-Claude Gallotta a travaillé à New-York dans les années soixante-dix, et qui inscrivait ses recherches chorégraphiques entre danse, théâtre et musique. Un spectacle pétillant de gaieté, de couleurs et d’humour, conduit par la voix de velours de Rodolphe Burger et construit en trois temps et deux apparitions magiques du chorégraphe, en solo.

Pour entrer dans la danse il suffit de lâcher prise et de se laisser glisser dans l’énergie mobile et l’abstraction des mouvements et compositions rythmiques, renforcées par les costumes de la plasticienne Dominique Gonzalez-Foerster. Le geste chorégraphique est ludique, sympathique et magnétique, il est une ode à la vie, à la fantaisie, à l’ironie. Jean-Claude Gallotta n’est certes pas un novice, il a à son actif plus de quatre-vingts pièces mais la décontraction et l’invention des danseurs et de la recherche gestuelle demeurent. Il a fondé en 1979 à Grenoble le Groupe Émile Dubois, devenu en 1984 l’un des premiers centres chorégraphiques nationaux. Sa troupe a alors ses studios dans la Maison de la culture de Grenoble dont il devient le directeur de 1986 à 1988.

Artiste associé au Théâtre du Rond-Point depuis plusieurs années, Jean-Claude Gallotta y inscrit sa démarche d’ouverture aux autres arts, dont la musique et la voix. Il y a présenté une trilogie autour du rock : My Rock rapprochait deux géants américains issus de deux univers totalement différents, Elvis Presley et Merce Cunningham. Avec My Ladies Rock il faisait danser son équipe sur quatorze morceaux emblématiques de femmes rockeuses dont Aretha Franklin, Marianne Faithfull et Janis Joplin. Dans L’Homme à tête de chou il superposait les voix de Serge Gainsbourg à qui il rendait hommage et d’Alain Bashung qui n’avait pas eu le temps d’accompagner le projet jusqu’au bout mais était resté présent par les chansons enregistrées avant sa disparition.

Le titre du spectacle, Le jour se rêve, pastiche le titre du célèbre film de Marcel Carné et Jacques Prévert sorti en 1939, Le jour se lève, beaucoup plus noir que la chorégraphie gentiment insolente de Jean-Claude Gallotta. Chez le chorégraphe tout est dans la mobilité. Il part des danseurs, de leur potentiel et de leur fluidité puis écrit les séquences comme un film se construit au montage. « L’expression est dans le rythme » disait Cunningham, qu’il cite.

Dans la pièce, trois chorégraphies s’emboîtent les unes dans les autres et donnent des couleurs différentes : la première, en harmonie avec la nature, s’inscrit dans un esprit chamanique ; la seconde est urbaine et témoigne d’un peu de la folie et des lumières de la ville ; la troisième lance ses rythmes pied à pied avec les chansons de Rodolphe Burger, fondateur du groupe Kat Onoma, qui travaille à la frontière de textes dramatiques et philosophiques, et développe depuis plus d’une douzaine d’années de nombreuses créations de spectacles. Dans les entre-deux de ces parties, l’apparition de Gallotta danseur semble sortir tout droit de chez Chaplin, Man Ray ou Picabia.

Ensemble, Jean-Claude Gallotta et Rodolphe Burger ont dessiné dans Le jour se rêve de nouveaux espaces sonores, spatiaux et poétiques où se croisent musiques et théâtres, singularités et ritournelles, exploration et alchimie, rigueur et improvisation. Les danseurs habitent ces espaces chacun avec sa personnalité donnant à la pièce un air à la fois profond et léger, dense et gai, inventif et fantaisiste.

Brigitte Rémer, le 15 mars 2022

Avec : Axelle André, Naïs Arlaud, Ximena Figueroa, Ibrahim Guétissi, Georgia Ives, Fuxi Li, Bernardita Moya Alcalde, Jérémy Silvetti, Gaetano Vaccaro, Thierry Verger, Jean-Claude Gallotta. Assistanat à la chorégraphie Mathilde Altaraz – dramaturgie : Claude-Henri Buffard – textiles et couleurs Dominique Gonzalez-Foerster – assistanat aux costumes Anne Jonathan, Chiraz Sedouga – lumière : Manuel Bernard

Création le 6 octobre 2020 au Manège/Scène nationale de Maubeuge – Vu au Théâtre du Rond-Point/ Paris en février 2022 – Prochaines représentations les 12 et 13 avril 2022 à l’Espace Malraux/Scène nationale de Savoie, Chambéry.

Ludwig, un roi sur la lune

© Christian Berthelot

Texte Frédéric Vossier – mise en scène Madeleine Louarn, avec les comédiens de l’Atelier Catalyse – dramaturgie Pierre Chevallier – musique Rodolphe Burger – chorégraphie Loïc Touzé, Agnieszka Ryszkiewicz, présenté par la MC93 et le Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis.

C’est un objet théâtral délicat et sensible, d’une grande poésie et inventivité, né de rencontres artistiques et d’amitié : celles de la metteuse en scène, Madeleine Louarn, avec l’auteur Frédéric Vossier – qui a entre autre adapté en 2012 Les Oiseaux d’Aristophane pour les comédiens de l’Atelier Catalyse – ainsi qu’avec Rodolphe Burger, compositeur et guitariste – qui a créé en 2014 avec eux En chemin, une performance chorégraphique et musicale – et qui, dans Ludwig, un roi sur la lune est présent sur scène avec le pianiste Julien Perraudeau.

Depuis plus de vingt ans, Madeleine Louarn travaille avec les hommes et les femmes de l’Etablissement et Service d’Aide par le Travail de Morlaix, au sein de l’Atelier Catalyse. Au fil des ans ils se sont formés au théâtre et elle a monté avec eux une douzaine de spectacles à partir des textes de Shakespeare, Beckett, Lewis Caroll, Daniil Harms, Christophe Pellet… Un beau parcours. Pour ce spectacle, créé l’été dernier au Festival d’Avignon, un patient travail de recherche a été mené avec ses proches collaborateurs et artistes autour du personnage de Louis II de Bavière, ce roi follement romantique, décalé et incompris, imprévisible dans sa recherche de bonheur et ses extases quasi mystiques, ambigu dans sa relation à Richard Wagner, un homme à la recherche de l’Absolu qui ne vit qu’à travers le philtre du ludique, du simulacre et de la représentation. Tous – texte, musique, chorégraphie, scénographie, costumes, lumières – ont travaillé sur la complexité du corps dans son rapport à l’espace et ses métamorphoses, sur l’imaginaire, le songe et la poétique d’un personnage singulier, sur la problématique du double. Il y a dans le spectacle deux Ludwig : le jeune, figure de l’ange – magnifiquement interprété par Guillaume Drouadaine – et l’autre, figure de la vieillesse et de la déchéance qui apparaît dans la dernière partie – troublant Jean-Claude Pouliquen -. Il y a des fulgurances dans ce spectacle : derrière les gestes ébauchés, la concentration décuplée, les déséquilibres et les hésitations existe une grande fraicheur, un air de Visconti, des tapis de jonquilles et bouquets lunaires, une grande précision.

Autour de Ludwig sont représentés son frère Othon – qui fut lui aussi interné -, l’impératrice Elisabeth d’Autriche – dite Sissi, sa cousine –  Richard Wagner son protégé, Bernhard von Gudden son psychiatre. Son écuyer-amant, les figures du peuple qui réclame, des ministres et des serviteurs-mannequins complètent ces tableaux oniriques admirablement portés par l’investissement et l’enthousiasme des acteurs. Les spectateurs se font face et l’aire de jeu bi-frontale recouverte d’un tapis de danse gris pourrait évoquer le pont d’un navire dans la houle. D’un côté : une toile peinte au paysage montagneux où le château de Ludwig aux multiples tourelles et toits pointus, kitsch en diable, appelle le féérique ; une porte dérobée où apparaissent et disparaissent les personnages nés de son imagination ; l’esquisse d’une colline en haut de laquelle se trouve l’espace des musiciens. De l’autre côté, l’aire de jeu pour Ludwig, ses amoureux et ses fantasmes, qui se transforme à la fin en espace de mort, avec le ponton du lac dans lequel il disparaît.

Historiquement, Louis II monte sur le trône de Bavière à l’âge de dix-huit ans, acclamé par le peuple qui le compare à un ange descendu du ciel. Deux ans plus tard, la guerre éclate entre la Prusse et l’Autriche et la Bavière s’allie à l’Autriche, défaite lors de la bataille de Sadowa avant d’être intégrée à l’Empire allemand en 1871. Sans pouvoir politique, Ludwig se réfugie dans les arts – la musique avec Wagner dont il devient le mécène amoureux, les réalisations architecturales mégalomaniaques avec la construction d’immenses châteaux -. Eloigné de la vie publique, son comportement fantasque devient incontrôlable et sa personnalité se dégrade jusqu’à être déclaré paranoïaque, le 8 juin 1886 et destitué le jour même. Il est retrouvé mort près d’un lac, le lendemain, ainsi que son psychiatre. Ces morts ne seront jamais élucidées. L’auteur, Frédéric Vossier, décrit la singularité du personnage en ces mots : « … Louis II de Bavière est un Roi handicapé. Il est allergique au Jour, aux Femmes et au Pouvoir. Il fuit l’Etat, l’Administration et les courriers des Ministres. Il aime la Nuit, les Images, l’Art, la Solitude et les Forêts… » Sa poétique est discordante.

Au-delà de la scénographie, sobre et efficace (Marc Lainé), quelques objets-signes habitent l’espace :  les figures d’un jeu d’échec, un ballon sur lequel Ludwig à l’horizontal se tient en équilibre, ressemblant au Petit Prince découvrant ses planètes – ici la lune – une table sur roulettes qui permet différentes configurations. Tout contribue à la réussite du spectacle par la finesse du traitement : un texte qui travaille par bribes et donne de l’étrangeté (Frédéric Vossier), une chorégraphie subtile et précise (Loïc Touzé et Agnieszka Ryszkiewicz), les costumes aux formes prussiennes et couleurs vives (Claire Raison), la musique composée par Rodolphe Burger à partir de thèmes wagnériens autant que contemporains et sa présence magnétique sur scène, parfois récitant, parfois guitariste ou chanteur, à tous les moments à l’écoute des comédiens ainsi que le pianiste. La mise en scène de Madeleine Louarn – à laquelle se joint l’alchimie et le talent de tous ceux qui portent le spectacle depuis sa gestation, sur le plateau et en coulisses – travaille sur le trouble et l’altérité, sur la présentation de soi et la solitude, sur la différence à partir de ce Roi qui ne veut pas grandir. L’intensité qui se dégage de la représentation donne le vertige et confirme la force du théâtre.

Brigitte Rémer, le 20 décembre 2016

Avec les comédiens de l’atelier Catalyse : Tristan Cantin, Guillaume Drouadaine, Christian Lizet, Christelle Podeur, Jean-Claude Pouliquen, Sylvain Robic – musique Rodolphe Burger – interprètes Rodolphe Burger, Julien Perraudeau – scénographie Marc Lainé – régie générale Hervé Chantepie – lumière Michel Bertrand – costumes Claire Raison – son Léo Spiritof – accompagnement pédagogique Erwanna Prigent, Mélanie Charlou – production déléguée Théâtre de l’Entresort – production exécutive musicale Compagnie Rodolphe Burger – création en résidence Le Quartz Scène nationale de Brest – Spectacle présenté au Festival d’Avignon 2016.

Du 3 au 12 décembre 2016, au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis – Sites : www.theatregerardphilipe.com – www.MC93.com – tél. : 01 48 13 70 00 et 01 41 60 72 72 – CD en précommande de la musique du spectacle en exclusivité sur : dernierebandemusic.com – En tournée : janvier et février 2017 à l’Archipel de Fouesnant – avril 2017 au Théâtre du Pays de Morlaix, dans le cadre de la vingtième édition du Festival Panoramas – saison 2016/17 ou 2017/18 au Quartz Scène Nationale de Brest – saison 2017/18 au Centre Dramatique National d’Orléans.